Une analyse en 22 graphiques reprenant les données en série chronologiques longues de 1949 à 2017 : télécharger Evolution du nombre heures travaillées
L’analyse des séries chronologiques « longues » (*) de 1949 à nos jours est particulièrement intéressante pour appréhender l’évolution structurelle de l’économie. L’approche à partir du nombre des personnes employées et du volume des heures travaillées, en englobant tous les travailleurs, salariés et non-salariés, donne un point de vue inhabituel qui est finalement plus proche de la réalité vécue par tout le monde.
Elle permet aussi d’analyser la productivité de l’heure travaillée dans les différents secteurs d’activité, et sans surprise, cela montre que la productivité a considérablement évolué, tout particulièrement dans les secteurs où la mécanisation, l’automatisation et le numérique ont démultiplié la valeur produite par heure de travail. Et bien entendu, la croissance économique très forte de 1949 à 1975, puis encore assez forte depuis 1975 jusqu’à nos jours, n’a été possible qu’avec une augmentation tout aussi forte de la consommation d’énergie. Les évolutions récentes indiquent bien que ce type de croissance a des limites naturelles : démographique, écologique et même sociale maintenant que l’économie, notre mode de consommation, notre mode de production se vivent et se pensent à l’échelle de la planète.
Ce qui peut être encourageant dans la perspective d’une lutte contre l’émission des gaz à effets de serre, est que l’augmentation de la consommation d’énergie rapportée à l’heure travaillée dans les secteurs de production des biens (secteurs primaires et secondaires) a été stoppée à partir de 2000 alors que l’augmentation de la productivité s’est poursuivie, ce qui signifie que les activités économiques tendent réellement à améliorer leur efficacité énergétique. L’effort doit se poursuivre sans aucun doute, mais cela montre qu’il est possible d’avoir une croissance économique sans devoir consommer encore plus d’énergie.
La question qui se pose alors est : peut-on espérer une croissance économique avec une moindre consommation d’énergie ?
D’un point de vue global et structurel, il apparaît que l’augmentation du PIB ne peut plus être portée en France par la croissance démographique, ni par une amélioration de la productivité horaire due à une amélioration technologique car il y a une limite entropique (naturelle) au remplacement de l’homme par la machine pour produire les biens ou les services. Aussi, pour maintenir voire augmenter le niveau de PIB par habitant, il convient d’augmenter le volume des heures travaillées par actif dans un contexte démographique défavorable, le nombre des actifs en âge de travailler tendant à diminuer (dû au vieillissement de la population). Aussi il faudra concrètement agir sur plusieurs leviers : diminution drastique du chômage, moins de jours de congés, plus d’heures supplémentaires, entrée plus rapide des jeunes dans le monde du travail, départs plus tardifs à la retraite, immigration d’actifs en âge de travailler… N’est-ce pas toutes les pistes de réflexion actuellement en débat ?
La période de crise est surtout mesurable qu’à partir de 2000, alors que le chômage de masse s’installe définitivement au-delà des 2 puis des 3 millions de demandeurs d’emploi. La crise peut d’ailleurs se comprendre comme étant l’impossibilité de l’économie à donner du travail à tous les actifs, compte tenu de la concurrence internationale qui contraint les secteurs industriels comme de nombreuses activités des services marchands, mais aussi des limites budgétaires publiques (taux de prélèvements obligatoires fiscaux et sociaux au maximum, endettement public également au maximum) qui contraignent l’augmentation des services non marchands (administration publique, enseignement, santé, action sociale). Nous sommes là au cœur du débat actuel des politiques publiques. Les revendications sociales exprimées vigoureusement depuis septembre 2018 expriment bien la contradiction dans laquelle se trouve l’économie française : diminuer les prélèvements fiscaux et sociaux mais augmenter les aides publiques, l’action sociale, les services publics (administration publique, santé, prise en charge des personnes dépendantes…), tout en exigeant des entreprises privées à embaucher les chômeurs ou à maintenir les emplois quand ils sont menacés.
La bonne nouvelle que nous enseigne la mise en regard de l’évolution du PIB et de la consommation totale d’énergie, est que l’on peut envisager une diminution de la consommation d’énergie sans renoncer à une croissance économique. La question posée est de quelle croissance économique l’on désire : cela doit être le développement d’activité économique moins consommatrice d’énergie, permettant des économies d’énergie ou des productions d’énergie renouvelable avec un effet positif sur le climat.
Cela passe aussi, en même temps, à un changement des modes de consommations, permettant de diminuer la consommation finale d’énergie, par le choix de produits et de services moins énergivores, par le choix de modes de vie et d’habitats moins énergivores (transport, chauffage, éclairage…).
L’enjeu majeur de demain sera sans doute de diminuer la consommation d’énergie, en tout cas de diminuer très fortement l’énergie d’origine fossile. Cela semble possible sans renoncer à une augmentation de la productivité. Notons qu’un des enjeux de la numérisation du process industriel ou de l’agriculture est de réduire la consommation d’énergie, comme que du gaspillage des matières premières ou de la pollution. Le développement durable est définitivement numérique.
Mais comme vu précédemment, la croissance économique avec une diminution de consommation d’énergie peut aussi être obtenue sans forcément chercher à augmenter la productivité, mais en augmentant le volume global des heures travaillées. Avant toute autre solution, il s’agit sans aucun doute d’améliorer sensiblement le taux d’emploi de la population active, des jeunes avant tout mais aussi des seniors. Puis on peut penser au développement de modes de transport alternatifs à la voiture, au développement d’un habitat peu consommateur d’énergie, voire à énergie positive, au développement d’une économie de la solidarité et d’accompagnement renforcé des personnes dépendantes ou en difficulté, à l’adoption d’une alimentation plus saine, issue d’une agriculture moins industrielle et plus respectueuse de l’environnement, au développement de loisirs et du tourisme verts moins énergivores, sont autant de pistes pour un développement économique qui fournit de l’emploi à plus de monde, resserre les liens sociaux, avec un mode de consommation plus sain pour soi et pour l’environnement. Cette liste n’est évidemment pas limitative.
J’ai, pour ma part, entendu le Président de la République inscrire ces pistes dans sa feuille de route, lors de sa conférence de presse d’avril 2019. En tout cas, l’espérance que notre société puisse trouver une solution aux grands défis écologiques tout autant que sociaux et économiques de demain, me l’a fait entendre.
(*) Sources des données utilisées : INSEE Comptes annuels de 1949 à 2017 pour l’emploi, le volume d’heures travaillées et la valeur ajoutée brute, et SDES Observatoire de l’énergie pour la consommation d’énergie.
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