La réforme de la formation professionnelle initiée par la loi Avenir professionnel de 2018, apparait très prometteuse pour accompagner la mutation structurelle de l’économie, en permettant aux entreprises et aux salariés d’acquérir les compétences nécessaires à cette mutation. Elle pose toutefois question sur quelques points cruciaux pour atteindre véritablement son objectif de développement des compétences accessibles à toutes et tous.
On doit s’interroger sur le primat donné à la formation certifiante qui semble être le moyen d’acquérir les compétences alors qu’elle ne peut tout au mieux que développer la potentialité des compétences. Ne sommes-nous pas restés englués dans la diplômite aiguë qui gangrène notre société ? Ce faisant, allons-nous effectivement améliorer l’employabilité des actifs et, in fine réduire à la fois les difficultés de recrutement et le chômage ?
L’acquisition des compétences dans les petites entreprises doit-elle nécessairement se faire par le biais de la formation certifiante ?
La formation professionnelle se décompose entre la formation certifiante et la formation non certifiante. La tendance lourde qui sous-tend la réforme de la formation professionnelle est de concentrer les financements publics à la formation certifiante d’une part, et de les focaliser, d’autre part, sur les adultes en mal d’employabilité, en reconversion, en insertion, en apprentissage, c’est-à-dire soit avec un risque de licenciement, soit avec une possibilité d’embauche.
Le besoin d’évaluer les résultats de l’aide publique, de savoir si l’argent public est bien utilisé peut expliquer pourquoi sont préférées les actions débouchant sur un diplôme ou une certification professionnelle, ou sur une embauche. Sont ainsi favorisées les actions de formation certifiantes ou alors des actions de formations non certifiantes mais qui sont préparatoires à une embauche. Ainsi les actions de formation à destination des salariés qui permettent d’affermir les compétences, de les compléter ou de les renouveler, sont plus difficilement justifiables, dans cette logique du résultat. Et pourtant si l’on considère le développement des compétences au sein des entreprises, le plus efficace, mais néanmoins plus difficilement mesurable, est bien la formation continue non certifiante, plutôt de courte durée, qui le plus souvent s’inscrit dans une démarche d’apprentissage collectif, ce qui s’apprend en session de formation étant immédiatement utilisé dans la pratique, à son poste et au sein du collectif de travail. Là alors l’acquisition de nouvelles compétences ou simplement le renouvellement des compétences, se font.
Alors qu’il est parfaitement compris que ce n’est pas à l’école que l’on acquiert les compétences professionnelles, mais, de fait, en situation de travail, dans l’exercice de son métier, il peut apparaître surprenant que la doctrine pour la formation continue semble être que les compétences nécessaires pour exercer un métier ne puissent s’acquérir que dans le cadre d’une formation certifiante, ce qui est d’ailleurs vécu par beaucoup comme un retour à l’école, souvent lieu d’échec. Même la VAE qui par essence doit permettre d’éviter la formation « scolaire », est vécue comme un pensum scolaire, particulièrement difficile pour ceux qui sont en situation d’illettrisme plus ou moins marqué.
Les formations accessibles par le CPF doivent également être certifiantes. Cette obligation n’incite donc pas ceux qui auraient peut-être le besoin, à y recourir, et, elle réduit, également, l’offre de formation, car celle-ci n’a pas encore décomposé en petits blocs de formation les certifications pour être finançables par le CPF. L’offre de formation n’est pas non plus accessible sur l’ensemble des métiers sur l’ensemble du territoire, et la e-formation qui permettrait de résoudre en partie le problème d’accessibilité géographique, est encore peu développée.
Face aux enjeux majeurs d’évolution des activités et des métiers (numérique, transition énergétique, environnement…), le besoin d’évolution des compétences concerne pourtant tous les actifs, qu’ils soient en emploi ou non. Or cette adaptation des compétences doit pouvoir se faire dans le cadre de l’emploi, le métier évoluant de fait au sein de l’entreprise en même temps que l’activité de l’entreprise évolue. Ce sont, de fait, les salariés qui font évoluer les activités et par incidence leurs métiers, et qui, pour ce faire, doivent développer les compétences nécessaires. Cette acquisition de compétence est d’ailleurs collective. Elle comporte une large part d’autoformation et d’échanges au sein des équipes de travail. Toutefois, la formation organisée au sein de l’entreprise ou hors entreprise est utile, voire nécessaire pour acquérir de nouvelles techniques, pour échanger avec des salariés d’autres entreprises, pour prendre le recul nécessaire sur ses propres pratiques pour les faire évoluer. Le développement de la e-formation, le développement des pratiques de formation en situation de travail (FEST) et d’apprentissage collectif, n’exonère pas les entreprises d’envoyer régulièrement leurs salariés en formation, sans doute de plus courte durée qu’auparavant grâce au développement de formation mixte (associant formation en salle, e-formation, formation en situation de travail, formation en équipe de travail, autoformation…), mais nécessairement dans un cadre formalisé de formation. La finalité est d’acquérir les compétences nécessaires pour faire évoluer les activités de l’entreprise, ce qui induit sans doute une évolution des métiers. Cela n’est pas incompatible avec l’inscription de cette acquisition de compétence dans un parcours de formation certifiante, mais cela implique que le référentiel de la certification professionnelle soit effectivement décliné en petits blocs de compétence (parler de briques serait peut-être plus pertinent) et qu’il soit bien prévu un bloc de compétence correspondant à la compétence acquise par le salarié… Il semble que l’état d’avancement de la réécriture des référentiels des certifications (et diplômes) ne soit que rarement suffisamment avancé pour que se fasse aisément l’articulation entre action de formation menée au titre du plan de formation et certification. Elle pourra l’être plus aisément par la VAE. Mais la finalité pour le salarié, est-elle nécessairement une certification, mais n’est-elle pas plutôt de préserver son employabilité, de développer les compétences qui lui semblent nécessaires pour progresser dans son métier, sans avoir nécessairement un certificat, si tant qu’il en existe un pour valider ses compétences ?
Pour que la réforme de la formation puisse effectivement atteindre son objectif de rendre l’acquisition des compétences accessible à tous, il apparaît donc impératif d’assouplir au maximum les dispositifs de formation certifiante, de décomposer les certifications non pas en « bloc de compétences », mais véritablement en « briques de compétences» de façon à pouvoir mobiliser les différents dispositifs de la formation pour accompagner les salariés dans leur professionnalisation, en acquérant progressivement toutes les briques de compétences et valider in fine, s’ils le souhaitent, une certification, en ayant mixé les différents dispositifs (alternance, CPF, ProA et même plan de formation) et les différentes modalités de formation (distanciel, présentiel, FEST et VAE).
Hugues JURICIC, le 11 février 2020
Une réflexion au sujet de « La réforme de la formation professionnelle et les petites entreprises (I) »
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