La réforme de la formation professionnelle initiée par la loi Avenir professionnel de 2018, apparait très prometteuse pour accompagner la mutation structurelle de l’économie, en permettant aux entreprises et aux salariés d’acquérir les compétences nécessaires à cette mutation. Elle pose toutefois question sur quelques points cruciaux pour atteindre véritablement son objectif de développement des compétences accessibles à toutes et tous.
La difficulté majeure des petites entreprises est précisément de ne pas avoir la ressource humaine en gestion de l’emploi et des compétences. Qui va fournir ce travail d’accompagnement, travail qui est chronophage et coûteux quand on le rapporte au budget de formation concerné ?
Un enjeu majeur de la réforme de la formation est d’améliorer le taux d’accès de la formation des salariés en particulier des plus petites entreprises, et ce faisant d’accompagner les TPME pour faire face aux enjeux majeurs comme la révolution numérique ou la transition énergétique, tout en permettant aux salariés de préserver (ou améliorer) leur employabilité.
Aussi, cet enjeu de la réforme ne pourra avoir des réponses appropriées qu’à deux conditions :
- Que le budget consacré à la formation par les entreprises de moins de 50 salariés augmente de façon substantielle, directement via le plan de formation mis en œuvre par l’entreprise, ou indirectement par la mobilisation des comptes personnels de formation par les salariés
- Que l’accès à la formation soit facilité par un accompagnement territorial ou sectoriel d’une part des entreprises pour la mise en œuvre de leur plan de formation, et d’autre part des salariés pour la mobilisation de leur compte personnel de formation (et du CEP conseil en évolution professionnelle).
La réforme de la formation amplifie l’individualisation de la démarche de formation (le DIF droit individuel à la formation devenant le CPF compte personnel de formation) et risque de réduire les démarches collectives menées dans le cadre des plans de formation.
Les grandes entreprises, celles qui ont plus de 300 salariés, ont un service de gestion du personnel avec des personnes en charge de la mise en œuvre des plans de formation. Elles avaient déjà un haut niveau de pratiques de formation, et à la suite à la réforme, elles vont sans aucun doute continuer.
Les entreprises entre 50 et 300 salariés sont, dans la réforme, assimilées aux plus grandes. Elles avaient un niveau de pratiques de la formation assez proche des plus grandes avec un taux d’accès la formation approchant les 50% des salariés. Mais cette dynamique de formation était accompagnée par les branches. La mutualisation des fonds via les OPCA permettait de démultiplier au niveau national, mais aussi dans les territoires, l’effort de formation, avec des actions collectives répondant à des besoins spécifiques, ainsi que de mettre à disposition des outils de GRH (gestion des ressources humaines) utiles pour ces PME qui n’ont pas de personnes dédiées à la gestion du plan de formation. On peut donc craindre que ces entreprises de taille moyenne aient des difficultés à maintenir un niveau de pratiques de formation élevé, dans la mesure où leurs ressources en GRH sont limitées. Il demeure la possibilité aux branches à introduire des contributions conventionnelles au plan de formation de façon à développer une offre collective de services à leur intention, ce qui peut d’ailleurs inciter les plus grandes à contribuer de façon volontaire à la dynamique collective mise en œuvre par les branches (via l’OPCA, maintenant devenu l’OPCO).
Cette dynamique concernait les entreprises de 11 à 300 salariés, même si les pratiques des 11 à 49 salariés différaient nettement, avec un taux de recours à la formation qui diminuait nettement dans les plus petites entreprises. Mais celles-ci bénéficiaient de la dynamique créée avec les plus grandes des PME. La réforme casse cette dynamique. Dorénavant les entreprises de 11 à 49 salariés sont assimilées aux TPE ayant moins de 10 salariés. On peut parler de TPME, très petites et moyennes entreprises.
Or, le constat sur le terrain est que la TPME ne fait pas de GRH, n’a pas de stratégie, et ne mobilise pas les dispositifs publics en matière de GRH qu’elle pense trop compliqués, trop lourds. Cependant l’enjeu de la connaissance, de l’évolution des compétences, dans un contexte économique changeant et très exigeant, est majeur pour ne pas dire essentiel. Aussi il est absolument nécessaire que les branches en complémentarité des dispositifs territoriaux mis en place par les acteurs EFPOI (Emploi, formation professionnelle, orientation et insertion) se mobilisent pour accompagner les plus petites entreprises dans leur démarche (informelle) de gestion prospective de l’emploi et des compétences.
L’accompagnement doit toutefois être adapté. Il s’agit d’aborder la question de façon opérationnelle en évitant le vocabulaire de la GRH, les « gros mots » du verbiage des professionnels de la formation. Il s’agit néanmoins bien d’une démarche de GPEC gestion prospective des emplois et des compétences, et d’aider ce faisant les entreprises à formaliser leur Plan de développement des compétences, mais cela doit être adapté à la taille de l’entreprise, être en quelque sorte simplifié, mais sans pour autant édulcorer. Ce faisant, l’employeur acquiert une compétence de GRH, une compétence d’entrepreneur qui gère les connaissances individuelles et collectives comme il sait gérer ses équipements et ses outils. D’ailleurs, à cet égard, le fait que les entreprises vont très bientôt pouvoir amortir les frais de formation, signifie bien que l’on parle d’investissement en capital humain. Il s’agit aussi d’assister les entreprises dans les territoires à résoudre les grandissantes difficultés de recrutement, en recourant plus massivement aux dispositifs de recrutement de demandeurs d’emploi, aux actions de formation préparatoires à l’emploi ainsi qu’aux différentes formes d’alternance dont l’apprentissage.
C’est d’ailleurs précisément l’enjeu de la réforme de la formation professionnelle que d’assouplir, de démultiplier les modalités de la formation :
- avant l’embauche : enjeu du PIC et de ses déclinaisons en région,
- dans le cadre du recrutement : enjeu du développement massif de l’alternance,
- puis dans le cadre du parcours professionnel en entreprise : enjeux du CEP conseil en évolution professionnelle, du développement du CPF, du ProA et bien entendu des formations relevant du plan de développement des compétences, ex-plan de formation des entreprises.
Mais soulignons-le encore une fois, sans un accompagnement des plus petites entreprises et de leurs salariés, cela ne pourra se faire, accompagnement qui doit être réalisé en proximité, sans doute en partenariat renforcé entre les acteurs de l’emploi, de la formation, de l’orientation et de l’insertion dans les territoires.
Hugues JURICIC, le 13 février 2020
Une réflexion au sujet de « La réforme de la formation professionnelle et les petites entreprises (III) »
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